Goma, Rond Point Chukudu (Photo Arsene Tungali/Mutaani)
Le Gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku a pris la décision de mettre de l’ordre dans les services publics de l’Etat en imposant l’heure d’arrivée au bureau pour tous les agents (cadres et subalternes dans le même panier) : 7h30 au plus tard! Il procède par des visites surprises aux différents services et inflige des suspensions à quiconque vient en retard. Cette décision ne laisse pas indifférents les agents de ces services publics qui voient cela d’un mauvais œil.
Les faits
Dans sa jeep, tôt le matin, il débarque, réunit les agents déjà présents et demande à ce que tous ceux qui ne sont pas là ne reviennent plus, qu’ils bénéficient d’un ‘congé’ dont la durée reste à déterminer. Dans le langage de la place, cela veut dire tout simplement une révocation, à moins que le concerné ne bénéficie d’une mesure de grâce particulière ou qu’il recoure à d’autres instances.
« C’est une bonne façon pour lui de révoquer certains agents au profit de ‘ses gens’ qu’il veut introduire dans tel ou tel autre service. Cette mesure ne vise que certaines têtes particulières qu’il veut remplacer au profit de nouveaux dossiers qu’il garde dans son tiroir », se plaint, à chaud, une dame d’un service voisin à la DGRNK (Direction Générale des Recettes du Nord-Kivu), à Goma.
Ce périple a débuté, semble-t-il, à la Mairie de Goma, où il a révoqué, en début de semaine, un bon nombre d’agents et cadres de bureau en commençant par le Maire Adjoint lui-même. La raison est simple, ils ne sont pas arrivés à temps au bureau, et devront servir d’exemple aux autres autres services publics de l’Etat.
A 7h30 ce matin, Mr Julien Paluku débarque à la DGRNK, un des services importants de mobilisation des recettes de la province situé dans le quartier Birere, sur la route de l’aéroport. Il ne considère que ceux qui sont déjà là, les autres arrivant un à un sont juste ébahis en le retrouvant déjà dans leurs installations. Un agent de ce service arrive à moto, remplis de la poussière. Reconnaissant déjà être en retard, il a failli demander au motard de sauter les véhicules devant lui tout simplement pour arriver à l’heure et ne pas subir la rigueur de la loi.
L’amélioration de nos conditions de vie serait le préalable
Lire aussi (en anglais): The other Face of Public Services in DRC
Maman Fatu, une dame, imposante par sa taille et sa physionomie, cadre de direction d’un service public arrive calmement à son bureau à 8h00 et apprend que le Gouverneur est passé par le service voisin. Ses collègues la voyant arriver, l’interrogent sur l’heure et sans se gêner, elle répond avec un excès de rage :
« Et alors ? 7h30 veut dire quoi ? Ça signifie la ration alimentaire de ma famille ? Les frais scolaires de mes enfants ? Laisse-le faire son travail et qu’il ne nous fasse pas la morale car il n’améliore en rien nos conditions de vie et veut que nous soyons au travail à 7h30 ? Un peu de réflexion quand même ! » confie-t-elle après avoir retrouvé tout le monde déjà en place.
Elle, comme ses collègues, sont d’accord et soutiennent cette initiative mais pensent qu’il y a des préalables à faire. Excellence Mr le Gouverneur n’y a peut-être pas pensé avant de se lancer :
« Je suis d’accord, je le soutiens mais il y a des préalables à faire. Avant de nous obliger d’être au bureau à une heure matinale comme celle-ci, qu’il se rassure qu’on a un moyen de transport fiable et ponctuel, que nous avons un salaire décent qui nous permet de répondre aux besoins de nos familles sans que nous soyons obligées de recourir à d’autres sources », lance une autre dame du même bureau, elle, par précaution est quand même arrivée à temps au bureau.
En effet, beaucoup d’agents dans les services publics de l’Etat n’arrivent au bureau que pour marquer leur présence dans le registre et immédiatement sortent pour aller travailler ailleurs où ils gagnent plus. Ils ne reviennent à leur bureau originel qu’une fois les salaires sont arrivés de Kinshasa. La plupart travaillent dans des ONGs et cela leur permet de joindre les deux bouts, comme le confirme Mr John, 65 ans environs, père de famille avec 6 enfants :
« Dans ce service de l’Etat, je reçois un salaire mensuel irrégulier de près de 200.000 FC (près de 250$). Imaginez-vous avec le cout de la vie à Goma, comment puis-je scolariser tous ces enfants ? Ils sont tous en âge d’aller à l’école et à l’université. Par contre, je suis employé dans une ONG internationale où je gagne régulièrement 500$ et je crois, le choix est clair ! En plus, je dois être à ce bureau à la même heure que celle que m’impose Mr le Gouverneur », confie-t-il, visiblement sans trop se gêner et satisfait de la double vie d’employé qu’il mène.
Il faut noter que lui comme les autres agents publics ne sont pas prêts à renoncer volontairement à leur travail dans les services de l’Etat car ils l’appellent « la carrière ». Ils sont tous d’accord que c’est le meilleur des emplois au monde car c’est pour la vie une fois l’on a son numéro matricule, « Le numéro matricule te permet d’être stable car tu as moins de chance d’être révoqué, à moins que le Gouverneur ne se pointe dans ton service alors que tu es allé répondre « OUI » à ton deuxième employeur », conclut Mr Hangi, parlant à basse voix comme si le Gouverneur était dans la pièce à côté.
Il ne peut venir chez nous…
Maman Jeanne, dans la quarantaine, secrétaire de direction, pense que le Gouverneur ne peut arriver dans son service pour le contrôle de l’heure. Elle nous indique la raison :
« Il fait plus attention aux services qui font entrer beaucoup d’argent dans le Trésor Public. Ce sont entre autres les services des frontières, les services de mobilisation des recettes, etc. Il a visité un service voisin, alors qu’on pensait le recevoir chez nous aussi, il s’en est allé sans nous dire bonjour ! Visiblement, on est moins important à ses yeux. Je regrette d’ailleurs d’avoir été aussi matinale aujourd’hui », confie-t-elle, rassurée et en même temps désolée.
Des commentaires dans les bus, les motards, les endroits publics aux alentours de la Mairie, tout le monde ne cesse d’en parler et chacun en donne sa propre lecture. Beaucoup saluent l’initiative, d’autres pensent qu’il se fatiguera bientôt après avoir atteint son « objectif ». C’est le cas de Maman Faida (par respect pour elles, dans la culture Congolaise, on appelle généralement les dames ‘Maman’), dans la trentaine, visiblement mère de plusieurs enfants qui pense que son objectif est de recevoir des corruptions de la part de ces cadres révoqués de leurs postes :
« L’objectif visible de Mr le Gouverneur est qu’il veut rénover et remettre de l’ordre. Mais l’objectif caché est qu’il veut rançonner ces ‘Directeurs’ qui ne voudront pas perdre leur poste et qui seront obligés d’aller le ‘voir’ (langage courtois pour nommer la corruption quand il s’agit d’une autorité politiques, ndlr) ».
Monsieur Jérôme quant à lui, étudiant de son état, salue l’initiative car désormais, il sait rencontrer ces agents, à temps dans leurs bureaux lorsqu’il a besoin de leurs services. « Ça me fait mal lorsque je dois attendre quelqu’un jusqu’à 10h avant de le voir se pointer, la file étant déjà longue pour qu’il commence à recevoir un visiteur après l’autre dans son bureau. Félicitation au Gouverneur car désormais à 7h30, je sais trouver tel directeur à son bureau et déposer ma doléance ! »
En attendant de voir le sort de ces agents et cadres révoqués ou la durée et l’effectivité de cette mesure, le Gouverneur continue son travail. Mais ce qui est visible est que les agents des services de l’Etat se précipitent pour être à leur poste à 7h30 et être au service de la population.