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Je suis photographe au rond-point Chukudu, je gagne ma vie

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« Maman, veux-tu me prendre en photo à côté de ce gros Chukudu ? », dit la petite Anita, 11 ans, à sa maman cet après-midi chaud du dimanche pendant qu’ils passaient par le rond-point pour rentrer à la maison.

Le « chukudu » est un engin fabriqué en bois qui sert pour le transport des  bagages dans les quartiers de la ville de Goma et ses périphéries. Cet engin, à la forme d’un vélo devient petit à petit le symbole de la ville de Goma. Tout visiteur dans la ville veut s’y prendre en photo pour prouver qu’il a séjourné à Goma, la ville touristique.

Cette place, en plein centre-ville de Goma, qui porte désormais le nom de « Rond-point Chukudu » est le seul espace vert, ouvert au public dans la ville ; une place qui n’est jamais vide car utilisée soit pour traverser de l’autre côté de la route, pour se prendre en photo ou tout simplement pour passer du temps de solitude.

Moi j’y fais ma vie

Pendant que certains y vont pour s’amuser ou pour les photos souvenir avec leur propre camera, les autres y sont pour y gagner leur vie. Eux, c’est la quinzaine de photographes qui y passent la journée en train de photographier ceux qui n’ont pas leur propre camera.

« Je travaille ici depuis 3 ans déjà », confie Mr Emmanuel, souriant. « Je suis ici et pas ailleurs car c’est le meilleur endroit que tout le monde apprécie pour se prendre en photo et cela me permet de me retrouver (gagner de l’argent, ndlr). C’est joli et beau », poursuit-il.

Tout autre photographe n’y est pas le bienvenu à moins qu’il ne soit affilié à leur regroupement, comme le dit si bien Monsieur Mastaki, le président actuel: « Ce n’est pas que nous sommes égoïstes mais nous avons des règles, quelques principes qui nous régissent comme dans toute chose qui implique des individus. Nous devons nous entendre pour mieux exercer ». Et il poursuit : « Je suis président des photographes de ce rond-point depuis seulement deux mois et je dois travailler pour le bien de mes pairs », conclut-il.

Le président est élu pour un mandat de 6 mois renouvelables et a un comité qui répond au niveau des officiels la Commune de Goma. Ceux-ci les reconnaissent et leur ont donné l’autorisation d’exploiter ce lieu stratégique.

Chez nous c’est 800FC au lieu de 500FC

Tout simplement parce que le lieu est beau et attractif, la photo ici n’a pas le même prix qu’ailleurs ; dans les autres coins de Goma c’est normalement 500FC la photo (près de 0.5$). Un peu de calcul car eux ont « des charges à couvrir ».

Le prix dépend également de la durée pour l’obtention de la photo.

« Pour une photo à retirer après une heure, le client paie 800FC (près de 0.9$) au lieu de 500FC qu’il paie pour les autres endroits de la ville », explique Emmanuel. Comprendre que dans ce cas, le client part et revient retrouver son photographe au même lieu pour avoir sa photo. Le photographe lui étant parti faire imprimer la photo dans un studio juste à côté.

« Pour une photo expresse, le client paie entre 1500FC et 2000FC car il est pressé ; dans 3 à 5 minutes, il a sa photo », poursuit Emmanuel. « Nous avons des petites imprimantes à batterie rechargeables que nous portons dans nos sacs pour les clients pressés. Cette imprimante et les consommables nous coûtent cher, le client devra être conséquent », conclu-t-il avec un large sourire.

La compétition pour la clientèle s’impose

Il n’y a pas qu’un seul photographe sur la place et donc c’est de la compétition. « Quand je vois une moto s’arrêter à l’entrée de la place ou un passant s’approcher, je me précipite vers lui pour lui proposer mes services », confie Jacques qui est à cet endroit depuis 2 ans. « De fois, c’est juste quelqu’un qui veut aller de l’autre côté de la route et qui n’a rien à faire avec mes services. Je ne me décourage pas pour autant et j’attends le prochain », conclu-t-il.

Chacun de ces photographes se bat pour qu’à la fin de la journée il ait totalisé un nombre consistant de clients qui ont bénéficié de ses services. Autant de clients reçus, autant la cagnotte est consistante.

« Cette année, le plus beau jour pour moi fut le 8 mars où j’ai pu prendre en photo plus de 30 femmes et jeunes filles qui étaient de passage, habillées en pagnes. Elles avaient besoin de garder le souvenir de leur journée et moi j’ai fait l’affaire », se félicite Muhindo en fixant les yeux sur ses pairs qui visiblement l’admirent pour son accomplissement.

Monsieur Emmanuel son collègue, quant à lui, n’était pas sur les lieux, il avait donc raté le coup. Il exprime son regret : « Ce jour-là, j’étais invité à prendre en photo le mariage d’un cousin, qui d’ailleurs n’avait pas assez d’argent pour me payer. Je l’avais fait bénévolement comme ma contribution à l’événementMais je crois que j’aurai fait une bonne affaire si j’étais à mon poste habituel. »

Les étudiants et les élèves sont parmi les clients car les photographes offrent le service des photos passeport qui sont exigés pour l’inscription à l’école ou à l’université. Mais egalement la constitution du dossier pour les élèves finalistes.

Marc, élève finaliste d’une école secondaire de Goma était sur les lieux cet après-midi après son cours de rattrapage: « J’étais là ce matin car je devais me prendre des photos passeport pour l’école. Ils l’ont fait très rapidement et j’ai pu retourner vite en classe sans être en retard », confie-t-il.

Pour vous : 4 photos passeport coutent 5$ et le client les reçoit quelques minutes après. Autant d’élèves passés pour le service, autant le photographe sourit à la fin de la journée.

On gagne souvent, mais on perd également

La photographie se porte bien au rond-point Chukudu à Goma mais les photographes se plaignent de l’attitude de certains clients, malhonnêtes.

« Dans mon sac, j’ai une centaine de photos de gens qui ne sont plus repassés les reprendre au moment convenu », se plaint Mastaki, le président des photographes de ce lieu avant de poursuivre : « Mes pairs ne cessent de se plaindre car cela est une grande perte pour eux. C’est vraiment dommage que les gens se comportent ainsi. »

Lorsque le client se prend en photo et que l’on lui donne rendez-vous, il ne revient plus jamais. Entre temps, le photographe aura investi son argent à l’avance avec l’espoir que le client revienne les récupérer.

« C’est une honte car ce sont des ‘responsables’ qui viennent se prendre en photo ici ; si c’étaient des enfants seuls, on pouvait comprendre. Mais des femmes de ménages qui viennent avec leurs enfants certains weekends, sont celles-là qui nous font autant de mal », confie Emmanuel, déçu.

Cette place est ouverte au public et reste propre suite à l’action de ces photographes qui en font la propreté et la sécurité le jour. Personne ne piétine le gazon ni ne touche aux fleurs. Ce qui permet à cet endroit, le seul endroit ouvert et propre et à défaut d’un parc d’attraction plus grand, de rester le symbole de la ville de Goma. La prochaine fois que vous visitez Goma, n’oubliez pas d’y passer et vous prendre en photo au rond-point Chukudu.


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